C’est la plus vieille officine d’Europe. La Raeapteek de Tallinn, capitale de l’Estonie, vient de souffler ses 595 bougies. Aujourd’hui, elle vend des vitamines et de la crème anti-moustique. Mais elle conserve encore des remèdes du XVe siècle comme des poudres d’animaux séchés et des lombrics marinés…
Il est 15 h, mercredi 21 juin, dans la Raeapteek, littéralement la « pharmacie municipale » de Tallinn, capitale de l’Estonie. Au comptoir, Ülle Noodapere détaille les composants d’un médicament à un client qui manque de vitamine D. L’hiver a été long, rude et gris dans le plus nordique des trois États baltes. La pharmacienne doit répéter, un brouhaha recouvre ses recommandations. « Il faut rester concentrée, quand on travaille ici », confie-t-elle, en désignant du menton un bruyant groupe de touristes chinois, arborant tous un sweat-shirt de la Baltic Cruising, leur compagnie de croisière.

Monument le plus visité
Bienvenue dans la plus vieille pharmacie d’Europe ! Elle a fêté en février ses 595 ans d’existence, et au même endroit, sur la grande place de Raekoja, en plein centre de la capitale. Elle figure sur tous les guides touristiques. Ils avancent que ce vénérable établissement est certainement plus âgé encore. Les premiers textes le mentionnent en 1422, comme appartenant à des Germano-Baltes de Tallinn, mais signalent au moins deux propriétaires avant cette date.

La municipalité le classe parmi « les monuments » les plus visités du pays. L’entrée étant libre, impossible de donner un chiffre de fréquentation exacte. Mais elle battrait à plate couture, tant en longévité qu’en nombre de visiteurs, la médiatique officine de la Santa Maria Novella, à Florence en Italie, courue par toutes les stars.
Sang de chat noir
Et pour cause. Ce lieu estonien est aussi un musée qui conserve une médecine médiévale à faire trembler d’effroi les enfants. Au XVe siècle, la Raeapteek était réputée pour son sang de chat noir et ses poudres de momies d’animaux. Sur les étagères, les bocaux de hérissons et de chauve-souris séchés ou de tripes de loup côtoient les flacons de décoction de serpent, de poudre de licorne (sic), de jus de lombrics marinés dans l’huile ou d’abeilles frites… Les Chinois se régalent, en feuilletant les archives. « Nous aussi, on croyait aux vertus de la poudre de rhinocéros », glisse malicieusement une Shanghaïenne.

Au cours des siècles, cette pharmacie s’est développée en proposant aux habitants de Tallinn des produits de toute l’Europe : du vin du Rhin ou du cognac Français, mais aussi des bougies, de la poudre à canon, ou encore des sucreries dont les Estoniens sont friands.
Le célèbre marzipan
La légende prétend que c’est ici que le massepain, le célèbre marzipan européen, a été créé. Ülle Noodapere, la pharmacienne assure qu’elle vend la recette originale, « composée de 70 % de pâte d’amandes et de 30 % d’autres ingrédients que nous gardons secrets ». Ce succès historique, la Raeapteek le doit à la famille Buchart qui a géré les lieux de 1582 à 1911, soit dix générations, sans interruption. Le patriarche, Johann Burchart Belavary de Skykava, était originaire de Bratislava, en Slovaquie, alors sous domination austro-hongroise. Les armoiries de cette famille célèbre jusqu’à la cour des tsars de Russie, un griffon couronné, sont gravées sur la façade.

Dernière précision, pour les adeptes du tourisme de week-end. La plus vieille pharmacie d’Europe, tout en vieux bois ciré, est fermée le dimanche. « On y tient », précise Ülle Noodapere, qui finit ses semaines « éreintée et sans voix à force de répondre aux questions ! » Mais elle ne changerait d’officine pour rien au monde.
